[fessenheim-tn] Souffrance éthique à la centrale nucléaire de Chinon

Klaus Schramm 078222664-0001 at t-online.de
Fr Apr 6 00:26:28 CEST 2007


Souffrance éthique à la centrale nucléaire de Chinon : un employé EDF se donne 
la mort.
Ethischer Druck beim AKW Chinon : Ein Angestellter von EDF begeht Selbstmord.

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Mal de vivre à la centrale nucléaire

LE MONDE | 04.04.07 | 14h12  •  Mis à jour le 04.04.07 | 14h12
CHINON (INDRE-ET-LOIRE) ENVOYÉ SPÉCIAL
	
A la centrale nucléaire de Chinon, à quelques kilomètres de la coquette petite 
ville d'Avoine, en cette fin de mois de mars, le parking est déjà plein. Le 
soleil se lève à peine, dans un ciel barré par les quatre monumentales colonnes 
de fumée qui s'échappent en permanence des tours de refroidissement des 
réacteurs.

Les portillons de sécurité franchis, il suffit de peu de temps pour découvrir 
que les 1 300 agents EDF - des hommes, à 80 % - sont rongés par un mal-être 
profond. Et que leur moral est plus bas encore depuis ce jour de la fin février 
où ils ont appris que l'un d'entre eux, la veille, s'était donné la mort. Un 
cadre de 50 ans, ayant une haute responsabilité dans la conduite des réacteurs. 
Le troisième suicide depuis août 2006. Et le quatrième depuis celui, en août 
2004, de Dominique Peutevinck, un technicien supérieur dont le cas vient d'être 
mis en délibéré par le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Tours : la 
caisse primaire d'assurance-maladie avait considéré son acte comme résultant 
d'une maladie professionnelle, ce que conteste EDF.

Les salariés du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Chinon 
connaîtraient-ils les mêmes souffrances que ceux du Technocentre de Renault, à 
Guyancourt (Yvelines), sur le lieu duquel trois personnes se sont suicidées 
depuis deux ans ? Certes, aucun employé EDF ne s'est donné la mort sur le site 
même de la centrale. Et aucun lien n'a pu être formellement établi entre leur 
acte et leurs conditions de travail.

Le suicide est une démarche "très personnelle, difficile à appréhender mais 
qu'il faut respecter", commente Eric Maucort, le jeune et dynamique directeur du 
CNPE de Chinon. A Paris pourtant, la direction du groupe a réagi. Pierre 
Gadonneix, PDG d'EDF, a décidé, le 14 mars, d'envoyer sur place, pour mener une 
"mission d'écoute et de compréhension", deux de ses lieutenants. Et non des 
moindres : Pierre Beroux, directeur des risques, et Danielle Schwartz, 
directrice adjointe de l'emploi. Manière de répondre, enfin, au service médical 
et aux représentants syndicaux, qui avaient à plusieurs reprises lancé des 
alertes à leur hiérarchie sur la surcharge de travail et les difficultés morales 
exprimées par nombre des salariés.

Mais de quel mal souffrent donc les agents du nucléaire ? Eux que l'on disait si 
nantis, si qualifiés ? Eux à qui ne revient plus le travail le plus dur, le plus 
dangereux, la maintenance des réacteurs à l'arrêt étant désormais assurée par 
des sous-traitants ? Eux dont les effectifs sont en baisse, mais moins 
qu'ailleurs ? "Ce qui se passe actuellement à Chinon, et plus généralement dans 
le parc nucléaire français, est de l'ordre de la souffrance éthique", affirme le 
docteur Dominique Huez, le plus virulent des quatre médecins de la centrale. 
Celui qui, en mai 2003, puis en mars 2004, avait diagnostiqué chez Dominique 
Peutevinck une "dépression réactionnelle professionnelle". Et qui, en février 
2004, avait adressé à la direction du CNPE de Chinon une "alerte de risque 
psychosocial" concernant le service contrôle robinetterie où travaillait ce 
technicien supérieur. Il faisait état d'une situation "extrêmement dégradée, 
annoncée depuis 2001, avec 45,8 % d'agents en souffrance professionnelle". "Ce 
qui agit sur la santé, explique-t-il, c'est de faire ce que l'on réprouve, en se 
sentant de surcroît victime d'une injustice."

Bien plus que la pénibilité des tâches, c'est un sentiment de "perte de sens", 
allié au manque de reconnaissance, qui revient le plus souvent dans les 
doléances des salariés. C'est, par exemple, l'incompréhension devant la décision 
récente du groupe EDF de n'avoir plus qu'un magasin national pour les pièces de 
rechange des réacteurs, ce qui bloque parfois les réparations pendant plusieurs 
jours. Et c'est surtout l'obligation de travailler de plus en plus vite, 
concurrence oblige. Sans pour autant se permettre l'erreur.

Car le risque, ici, pèse plus lourd qu'ailleurs... Et chacun, aiguillonné par la 
"traçabilité de la faute", s'en sent personnellement responsable. Des 
injonctions paradoxales que les mieux armés psychiquement parviennent à 
supporter. Mais que les plus consciencieux ("les premières victimes du suicide 
au travail", précise le docteur Huez) vivent souvent très mal. "Avec un noeud 
dans le ventre le dimanche soir", comme le décrit l'un d'eux. Ou en constatant, 
comme cet autre, que "tout faire et ne rien faire, c'est limite pervers dans la 
frustration".

"Trente ans que je suis là, et je vois arriver des types de 50 ans en pleurs aux 
réunions... Je n'ai jamais connu ça !", s'effare Michel Lallier, représentant 
CGT (majoritaire à 67 % sur le site) et membre du comité d'hygiène, de sécurité 
et des conditions de travail (CHSCT) de la centrale, qui dénonce entre autres 
"les dysfonctionnements des organisations du travail" et "le raidissement sur le 
contrôle du prescrit". Une réalité que ne nie pas Eric Maucort, qui reconnaît 
être "dans un secteur où les contraintes d'adaptation sont lourdes".

Pour accompagner les évolutions réglementaires "qui impliquent une remise en 
cause permanente", le directeur du CNPE de Chinon, en poste depuis quatre ans, 
précise avoir fait appel, fin 2006, une équipe extérieure de psychologues, 
"actuellement en phase de diagnostic" auprès des salariés du site. Un remède qui 
ne convainc guère Michel Lallier, pour qui le vrai moyen d
e corriger la situation est ailleurs, dans "l'apport d'une respiration au niveau 
des effectifs, l'allongement de la durée de certains travaux, l'amélioration des 
interfaces entre les services".

La "mission d'écoute et de compréhension" aura-t-elle des effets ? Son objectif 
premier était "de s'associer à la douleur des équipes liée au deuil, et de 
développer sur le terrain un climat de confiance avec la tête du groupe", 
indique Pierre Beroux. Les deux dirigeants parisiens ont passé trois jours, du 
28 au 30 mars, sur le site de la centrale. Ils y ont notamment rencontré près de 
deux cents salariés, réunis pour l'occasion à l'appel de la CGT. Ils les ont 
"écoutés". Sauront-ils les comprendre ? Leurs propositions devraient être 
rendues avant la fin avril.

Catherine Vincent