[fessenheim-tn] «On ne peut pas continuer à vivre et à travailler de la même façon»

schwartz arnaud schwartz_a at yahoo.com
Di Okt 10 08:14:41 CEST 2006


«On ne peut pas continuer à vivre et à travailler de la même façon»
09/10/2006 11:52 dans le JDLE par Laure Pollez
http://www.journaldelenvironnement.net/fr/document/detail.asp?id=29632&idThema=6&idSousThema=33&type=JDE&ctx=259

Jean-Pierre Bompard, délégué à l'énergie, à l'environnement et au développement durable de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et membre du groupe Facteur 4 qui présente aujourd’hui ses conclusions sur l’objectif français de division par 4 des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, livre ici ses réflexions sur ce sujet. Réflexions très ancrées dans la réalité sociale, de la part du seul syndicaliste intervenant dans ce groupe présidé par l’économiste Christian de Boissieu.



Le groupe «facteur 4», auquel vous avez participé, a rendu récemment ses conclusions aux ministres concernés. La première est très claire: il est encore possible de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France d’ici 2050.

Oui, la France peut réduire ses émissions de GES. La totalité des acteurs en présence (industriels, environnementalistes, fonctionnaires, syndicats…) ont travaillé sur cette base. Et il est indispensable que la France y parvienne car les conclusions de la plupart des expertises scientifiques concluent à une responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.


Agir comment?

Tout d’abord, il faut renoncer à l’attentisme. Il faut agir maintenant, vite, et avec des objectifs réalistes. Car, plus on reporte la mise en oeuvre, plus la dérivée de la courbe sera importante; plus l’on retarde l’action, moins celle-ci pourra être efficace et progressive. Le réchauffement climatique n’est pas un cataclysme qui nous tombera dessus sans crier gare. On peut, et on doit, le prévoir si l’on veut éviter des conséquences brutales. D’où l’idée de fixer des rendez-vous intermédiaires, sur la base d’objectifs à déterminer, pour vérifier que l’on emprunte le bon chemin. D’autant que, en 2050, la plupart des responsables actuels ne seront plus là pour rendre des comptes! Dans son rapport, le groupe Facteur 4 avance par exemple l’idée d’un bilan d’étape dès 2020. Il conviendra aussi de s’assurer de la cohérence de cette stratégie avec le calendrier politique, toujours très délicat à anticiper.


Et l’effort devra être transversal?

Oui, car il est indispensable que tout le monde se sente concerné. C’est l’objet de la troisième recommandation du rapport: «Concevoir et mettre en oeuvre un Pacte national du Facteur 4, intégré au niveau européen, permettant à toutes les catégories socioprofessionnelles de participer à l’effort commun de long terme, sur une base équitable». Cette recommandation est vraiment stratégique. On sait que le bon niveau d’intervention, c’est le niveau européen. Mais même si la France ne peut rien faire seule, cela ne l’exempte pas de prendre des initiatives!


En quoi consisterait ce pacte?

D’abord, il  faut admettre une bonne fois pour toutes notre responsabilité dans le réchauffement climatique et la nécessité d’agir. Cela implique un certain nombre de bouleversements: on ne peut pas continuer à vivre et à travailler de la même façon. Encore faut-il en être convaincu et, pour l’instant, le travail pédagogique reste à faire vis-à-vis des opinions publiques. C’est à cette seule condition que l’on pourra vraiment organiser la transition. Avec trois instruments: la négociation participative à laquelle la CFDT est forcément très attachée, l’outil réglementaire et l’outil économique. Sur ce dernier point, la puissance publique doit s’assurer que le prix n’est pas purement spéculatif, qu’il reflète les données environnementales. A cet égard, le marché des quotas carbone, né de l’application du protocole de Kyoto dans l’Union européenne, est encore très jeune, et à parfaire.

 
Une transition qui passera notamment par les ménages?

Les ménages, en tant que consommateurs et en tant que salariés, doivent adopter une manière différente de consommer l’énergie, directe et aussi indirecte. Le rapport parle d’ailleurs d’une «véritable stratégie marketing». C’est le rôle de l’Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (Ademe), qui a pour l’instant des moyens sous-dimensionnés par rapport à l’objectif. C’est aussi le rôle des associations de consommateurs, qui doivent réfléchir à ce qu’implique la notion de «pouvoir d’achat». Par exemple, une agriculture plus économe en intrants implique des prix de vente plus élevés. Autre exemple: le renchérissement des carburants pétroliers.
Il faut réfléchir ensuite à la distribution des richesses, pour compenser ces évolutions: à la CFDT, nous n’accepterons pas que les revenus les plus bas supportent les coûts majeurs de ces mutations. D’où la nécessité d’une réflexion sur la fiscalité. Les modifications structurelles qu’implique la prise en compte du changement climatique ne se feront pas sans une redistribution des richesses. Ce ne serait pas acceptable, et donc pas réaliste.
Pour les ménages, en tant que salariés, se pose la question des déplacements vers le lieu de travail: en France, on ne voit pas encore assez de plans de mobilité dans les entreprises, alors qu’ils se sont généralisés dans d’autres pays comme la Belgique. Les entreprises devraient entamer des négociations pour encourager les gens à utiliser le moins possible la voiture individuelle, par exemple avec des systèmes de ramassage combiné aux réseaux de transport en commun. Cette mesure peut être prise très rapidement.


Cela soulève, à nouveau, la problématique des transports...

C’est l’objet de la 8e recommandation du rapport: «réexaminer à l’aune du Facteur 4, les critères de choix en matière d’infrastructures. Des bilans carbone ou équivalent devront être réalisés par les pouvoirs publics avant d’engager tout investissement public d’une certaine taille. Il faut porter l’effort financier en priorité sur les transports de masse (transports urbains, rail, voies d’eau), sans oublier la bicyclette. Les vitesses maximales autorisées doivent être réduites (pour commencer, 120 km/h sur autoroute, 100 km/h sur voies rapides). Il faut rétablir la vignette automobile, avec un contenu écologique fort; légaliser le péage urbain, ainsi que la possibilité de taxer les parkings des entreprises; imposer une redevance routière au transport routier de fret, selon le modèle suisse; taxer le kérosène.
Bien sûr, tout cela engendrera des levées de boucliers! D’où la nécessité d’un travail pédagogique préalable. Le rapport parle de «socialisation de la connaissance», pour aboutir à des décisions partagées, acceptables. C’est notamment le rôle des corps intermédiaires. A la CFDT, nous travaillons en ce sens auprès des salariés, afin que les considérations écologiques en entreprise ne soient plus reçues comme des agressions. On pourra alors commencer à envisager une transition, en étant très attentif aux secteurs qui seront mis en difficulté. Il faudra agir progressivement, il ne s’agit pas de tout bouleverser du jour au lendemain.


Le secteur du bâtiment est également concerné?

C’est l’autre secteur stratégique, après la mise en œuvre de Kyoto pour les industriels, qui ont, du coup, réduit leurs émissions de gaz à effet de serre. On y pense moins parce que cela se voit moins. Mais il faut parvenir à ce que ce secteur ait aussi une vision de son bilan carbone. C’est un secteur difficile à mobiliser parce que les acteurs sont peu nombreux et très puissants (voir les activités du ciment ou de l’acier, par exemple). C’est également une question difficile d’un point de vue social: la France a besoin de logement, c’est d’ailleurs pour permettre la construction de logements sociaux que la ministre en charge de l’environnement, Nelly Olin, aurait récemment autorisé les cimentiers à dépasser leur quota carbone cette année. Mais il est temps de s’interroger sur ce que l’on construit. Connaît-on le bilan carbone des récentes «maisons Borloo»? Il faut également réfléchir à nos modes d’urbanisme, pour freiner, par exemple, l’étalement urbain. Mais, là aussi, cela demandera du temps, parce que les Français sont attachés à la propriété individuelle.


Et que peut-on attendre de la puissance publique?

L’Etat doit être exemplaire, ce qui n’est pas encore le cas: aucun bilan carbone n’est pour l’instant réalisé sur son patrimoine et son action. L’Etat doit s’appliquer des normes à lui-même en ce domaine, et être très lisible: d’où l’idée avancée dans le rapport qu’il propose un indicateur carbone. Il est également important que les collectivités locales s’investissent dans ces questions (urbanisme, construction d’équipement…). Mais ce n’est pas non plus à la puissance publique de tout faire. Elle doit donner l’impulsion (ce qui n’est pas encore évident à cause des divergences sur le cap à suivre) et fixer des priorités, avec un effort considérable d’explication.


Qu’en est-il du progrès technologique?

On peut espérer que l’innovation nous permette de résorber un peu nos problèmes d’effet de serre. Le rapport préconise ainsi un soutien accru à la recherche et au développement (R&D) dans ce domaine. Mais, malheureusement, on ne peut compter uniquement sur le progrès. L’innovation est trop aléatoire pour nous assurer des garanties pour l’avenir. C’est pourquoi le rapport envisage une stratégie fondée pour un tiers seulement sur le progrès technologique, pour un autre tiers sur les efforts de réduction de la consommation d’énergie et pour le dernier tiers sur les biocarburants.
Ce dernier point a donné lieu à débat au sein du groupe: jusqu’où peut-on compter sur les biocarburants, à grande échelle, en France? Pour moi, ils posent aussi une question éthique: alors que l’on ne parvient pas à nourrir correctement tous les humains, est-il juste d’utiliser des ressources agricoles (notamment du blé et de la betterave) pour soutenir notre modèle de développement, dont on sait par ailleurs qu’il est insoutenable à l’échelle de la planète? C’est encore une réflexion dont on pourra pas faire l’économie… En général, il faut se méfier des solutions trop simples: le problème est complexe, la société est complexe, les véritables solutions le seront aussi.

 
Vers le site de téléchargement du rapport Facteur 4 :
http://www.industrie.gouv.fr/cgi-bin/industrie/frame23e.pl?bandeau=/energie/prospect/be_prosp.htm&gauche=/energie/prospect/me_pros.htm&droite=/energie/prospect/facteur4.htm


	

	
		
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