[fessenheim-tn] Qui a peur de la démocratie ? par Hervé Kempf

schwartz arnaud schwartz_a at yahoo.com
Di Nov 8 16:35:07 CET 2005


- Le Monde - 05 novembre 05 : Qui a peur de la
démocratie ? par Hervé Kempf

Peut-on, en France, discuter librement des problèmes
technologiques ? Est-il
autorisé de s'opposer aux innovations en recourant aux
possibilités qu'offre
la loi ? La démocratie peut-elle s'exprimer simplement
et se faire entendre
sans avoir recours à des manifestations, voire à des
sabotages ? L'évolution
récente de deux dossiers concernant des sujets aussi
décisifs que la
politique énergétique de la France et l'avenir de son
agriculture conduit à
poser ces questions alors que reprend, début novembre,
un débat tronqué sur
le réacteur nucléaire EPR.

Le 12 octobre, le ministère de l'industrie informait
la Commission nationale
de débat public (CNDP) que certaines informations,
relatives à la
vulnérabilité du projet EPR à la chute des avions de
ligne, ne pourraient
être soumises à une contre-expertise. La veille, on
avait appris qu'EDF
avait commencé à passer des appels d'offres pour l'EPR
avant même une
session de débat public sur celui-ci, tenue le 3
novembre, à Lyon. Fin
septembre, le tribunal administratif de Pau, sur
demande du préfet, avait
refusé que le conseil général du Gers organise un
référendum sur les
cultures d'OGM (organismes génétiquement modifiés).

Ces décisions récentes ne sont que la suite d'une
longue série d'épisodes du
même genre, qui voit des dizaines d'arrêtés municipaux
sur les OGM recalés
par la justice administrative, des préfets refusant
par avance les demandes
de référendum départemental signées par 46 000
électeurs à propos des
déchets radioactifs, des parlementaires votant sur
l'EPR alors que des
documents relatifs à sa sécurité leur ont été cachés
par le gouvernement,
des cultures transgéniques dissimulées par le
gouvernement alors que la
directive européenne impose un registre public de ces
cultures, les
conclusions des "sages" d'un précédent débat public
sur l'énergie, en
septembre 2003, ignorées parce que n'allant pas dans
le sens souhaité, un
projet de loi sur la transparence dans le nucléaire
enlisé depuis... 1998,
on en passe.

Le plus étonnant est l'indifférence qui accueille ces
atteintes au débat et
à l'expression des citoyens. Est-ce que la politique
énergétique et l'avenir
de l'agriculture ne sont pas des sujets dignes
d'intérêt ? Ou, pis encore,
est-ce que les citoyens qui ont manifesté en avril
leur distance avec les
élites politiques sur la question de la Constitution
européenne n'ont plus
foi dans les instances démocratiques et se résignent à
leur inexorable
affaiblissement ?

Quoi qu'il en soit, ce qui se passe autour du
nucléaire et des OGM illustre
l'abîme qui sépare les proclamations de transparence
et la réalité des
pratiques. Car les demandes de référendum et de débat
public ne proviennent
pas seulement de la société civile, mais découlent
bien des lois qui ont été
proposées et votées par la représentation nationale.
C'est en effet par la
loi du 2 février 1995 qu'a été créée la Commission
nationale de débat
public, dont le rôle a été renforcé par la loi du 27
février 2002 "relative
à la démocratie de proximité" , qui a transformé la
commission en autorité
administrative indépendante.

De même, le référendum local a été défini par la loi
organique du 1er août
2003 et précisé par la loi du 13 août 2004 " relative
aux libertés et
responsabilités locales" . Au niveau européen, la
convention d'Aarhus,
entrée en vigueur le 6 octobre 2002, prévoit la
participation du public au
processus décisionnel dans les sujets relatifs à
l'environnement.

INTÉRÊT GÉNÉRAL

Les parlementaires acceptent souvent mal ce qu'ils
ressentent comme une
diminution de leur rôle : ainsi, par exemple, Patrick
Ollier, député (UMP)
des Hauts-de-Seine, conteste-t-il à la CNDP le droit
de dire que le débat a
vocation à permettre aux Français de s'exprimer sur le
principe du réacteur
EPR. Ce "débat démocratique a déjà permis aux Français
de s'exprimer, par la
voie de leurs représentants légitimes" , écrit-il au
président de la
commission en septembre.

Mais la position des parlementaires serait plus
compréhensible s'ils
n'avaient pas eux-mêmes voté ces lois sur le débat
public et sur le
référendum. Elles visent à compenser le sentiment
d'une crise de la
démocratie représentative dans notre pays, les
décisions paraissant souvent
prises au nom d'un intérêt général mal discuté donc
mal réfléchi.

Les nouvelles procédures d'information créent
d'ailleurs des obligations
légales : par exemple, la décision de construire l'EPR
a été votée par le
Parlement, mais l'acte juridique de création ne pourra
être pris qu'au terme
du débat public. De même, pour les OGM, l'Etat
lui-même est fautif, il n'a
pas transposé la directive européenne relative aux
organismes génétiquement
modifiés et a été de ce fait condamné par la Cour de
justice des Communautés
européennes le 15 juillet 2004.

Ces thèmes ouvrent la voie à des recours contentieux
sans nombre. Mais ce
n'est pas à la justice de résoudre un problème qui est
politique : face à
une grande partie des citoyens désabusés, il faut
utiliser les outils
d'expression démocratique qui se sont progressivement
imposés. A les
bafouer, à les traiter comme de simples effets
d'affichage, on ne peut
qu'activer le déni croissant à l'égard des
institutions et de l'Etat, perçu
non plus comme représentant l'intérêt général, mais
comme l'expression d'une
caste arrogante. A ce jeu dangereux, il ne resterait
aux citoyens que la
rébellion pour imposer de parler des alternatives aux
orientations imposées.

Hervé Kempf


	

	
		
___________________________________________________________________________ 
Appel audio GRATUIT partout dans le monde avec le nouveau Yahoo! Messenger 
Téléchargez cette version sur http://fr.messenger.yahoo.com